Droit de retrait d'un associé dans une société

Les justes motifs entre perception et réalité

« Maître, je suis prisonnier de mes parts de la société familiale. On a une holding. Je ne m’entends plus avec les autres membres de la famille. Que puis-je faire ? »

Quand un associé à bout me contacte pour se séparer, je commence toujours par vérifier s’il y a des écrits prouvant qu’il ne s’entend plus avec son associé. 9 fois sur 10, il n’y a pas le moindre écrit. Tout est à construire.

Le client ressent une situation de désaccord profond, un changement de stratégie inacceptable suite à un décès, une maladie ou l’arrivée d’une nouvelle personne dans la société. Tout ceci génère un blocage niveau opérationnel et communicationnel. L’enjeu est d’équilibrer les droits de l'associé sortant et ceux des associés restants.

Pour qu’un associé puisse quitter volontairement une société, c’est encadré par des dispositions légales et statutaires. Ça le client s’en doute.

Mais surtout, c’est factuel. On a beau énumérer toutes les causes possibles.

Il est nécessaire de le prouver. Pour lui expliquer comment ça fonctionne, je lui raconte l’histoire catastrophique de Mathilde.

Alors voici ce qu’il ne faut surtout pas faire pour arriver à ses fins quand on veut son argent et se séparer de son associé :

Après 5 ans de procès et 200.000 € de frais d’avocats, Mathilde, qui déteste son frère Louis, est condamnée à rester associée avec lui dans la holding familiale.
C’est l’histoire de dingue qu’un confrère m’a raconté.
En 2009, les parents donnent leurs parts à Mathilde et Louis.
Ils pensent bien faire.
La holding détient des participations dans le secteur de l’énergie ainsi qu’un gros portefeuille immobilier dans des quartiers huppés de capitales en Europe.
Depuis des années, le frère et la sœur évitent  tout conflit pour faire plaisir à papa.
Louis est très autoritaire et autocentré. Et Mathilde se tait pour la paix.
Sauf qu’un an plus tard, le père meurt.
Les funérailles à peine terminées, Mathilde décide de vivre enfin sa propre vie sans être liée à son frère. Elle veut sa liberté.
Elle informe Louis qu’elle veut sortir de la holding et encaisser son cash.
Comme bien souvent, quasi tout l’argent étant dans la société, Louis n’a pas les fonds privés pour la payer.
Il refuse donc catégoriquement sa demande.
En 2011, décidée – coute que coute - à prendre sa liberté, Mathilde entame alors un procès sanglant. Elle affirme que Louis reçoit plus de cash qu’elle de la boite et qu’il ne répond jamais à ses questions sur la gestion.
Elle gagne.
Mais son frère va en appel. 4 ans après, coup de théâtre. La Cour lui donne raison.
Parce que :
- Louis a produit des PV de CA et d’AG répondant aux demandes de Mathilde.
- Mathilde n’a jamais acté par écrit son désaccord sur la gestion.
- Le différend de Mathilde avec Louis est purement subjectif.
Pour la Cour, Mathilde n’a aucune preuve « réelle » de mésentente pour forcer Louis à lui payer son exit de la société. Mathilde reste finalement enchainée à son frère.
Tout ça pour ça.
Morale de l’histoire :
Dans une société, vouloir se séparer ne suffit pas. Encore faut-il en avoir le droit.
Ce sont les preuves écrites qui comptent. Et rien d’autre. Si vous ne formalisez pas vos désaccords, la justice considérera que vous êtes d’accord.
Trop tard pour Mathilde.
Mais pas pour celles et ceux qui anticipent.
À bon entendeur … ;)

La preuve de la mésentente irrémédiable entre associés

Vous l’aurez compris, une séparation entre associés ne s’improvise pas.

Elle se prépare minutieusement dans le calme.

C’est bien sûr contrintuitif. Parce que le client souhaite le plus rapidement possible un accord amiable. Or, pour y arriver, il est nécessaire d’avoir des fondations solides pour arriver à ses fins. Sinon, vous avez juste un château de cartes qui peut s’écrouler à tout moment.

Les deux combats avant de communiquer sa décision de séparation

Beaucoup sous-estiment l’importance fondamentale de la préparation.

Tous les clients à bout de leur associé oublient qu’il y a 2 combats à livrer avant d’aller au procès :

1. Le combat émotionnel

Bien souvent, les clients qui passent ma porte posent la même question :

« Qu’est-ce que je fais ? ».

Le processus pour accepter la fin d’une relation est laborieux. Par expérience, tant que le client est dans la culpabilité, il est incapable de savoir ce qu’il veut : rester ensemble ou se quitter.

Une association, c’est comme un couple. On ne se sépare pas sur un coup de tête en 24 heures.

Alors qu’une fois que la décision est prise, le « Comment je le fais ? » est beaucoup plus simple et rapide.

Le plus difficile est de ne pas culpabiliser injustement. Tout le monde a le droit de se tromper d’associé sans se flageller.

Cette étape est la partie la plus chronophage. Je travaille en triangle client(e), avocat et soutien émotionnel (amie, thérapeute, psy ou coach à la convenance du client(e).

Au plus le client travaille sur lui pour opérer le changement, au plus le dossier est fluide.

C’est un véritable accélérateur stratégique pour l’aider à se sauver et à reprendre sa vie en mains.

2. Le combat opérationnel

Quelle que soit la stratégie choisie (exit ou rachat), si vous voulez un effet de levier pour négocier, vous devez avoir un maximum de contrôle interne au sein de la société à tous les niveaux : clients, personnel, gestion comptable et informatique.

Celui qui a le pouvoir opérationnel a la plupart du temps les meilleures cartes.

Si vous l’avez, trouvez le moyen de le maintenir. Si vous ne l’avez pas, agissez pour gagner du terrain avant d’envisager toute procédure judiciaire.

Conclusion : si un client n’a pas conscience de ses deux étapes, tout l’argent qu’il consacre à son conflit, c’est de l’argent jeté par les fenêtres.

Comment exercer son droit de retrait dans une société ?

1. Identifier les conditions permettant le droit de retrait

Une fois que la préparation est bouclée, on peut dérouler un plan d’actions.

Pour ce faire, ou la sortie comme associé est prévue par les statuts, ou bien c’est un rapport de force à créer pour négocier en soufflant le chaud et le froid à tout moment.

2. Procédure à suivre pour demander un retrait

Quand on a les preuves de la mésintelligence définitive et irrémédiable, on peut formuler une demande par écrit à l’ensemble des associés ou au dirigeant pour se retirer et demander le paiement de son exit.

C’est ici qu’il est important de lister les fameux justes motifs pour justifier sa sortie.

Si on ne trouve pas d’accord après avoir acté les points de vue divergents via une réunion officielle en assemblée générale, il reste en dernier recours le tribunal.

3. Conséquences financières du retrait

Quand les parties ont validé le principe de l’exit, il ne reste « plus qu’à » évaluer les droits sociaux de l’associé sortant.

Fixer le prix des parts est un exercice délicat. J’ai déjà rencontré des cas où la différence entre le prix demandé par le client et le prix proposé en face était un multiple de 10. En clair, le client voulait un million d’euros et en face on lui proposait à peine cent mille euros.

À nouveau, il convient de bien collecter en amont toutes les informations financières permettant de déterminer la valeur de la société.

4. Formalités administratives liées au retrait

Quand on arrive à un accord amiable pour une séparation, je rédige un protocole d’accord pour solde de tout compte entre parties qui englobe l’achat vente des parts concernées.

Ensuite, on passe, au cas par cas, à la mise à jour des statuts, la consignation du retrait dans un procès-verbal d’assemblée générale ainsi que le dépôt au greffe des statuts modifiés.

Conclusion

Le droit de retrait est un jeu d’échecs délicat et subtil, encadré qui nécessite un équilibre entre la volonté de l’associé et la pérennité de la société.

Tout se joue sur la qualité de la stratégie et sur le rythme du dossier.

Bien s’entourer dès les premières gouttes de l’orage est fondamental.

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