Le tribunal est la dernière carte à abattre si toutes les autres jouées n’ont pas porté leur fruit.
Les réunions officielles - via les organes de la société, conseil d’administration et ou assemblée générale – n’ont rien donné et le dialogue de sourd persiste.
Dans pareil cas, il vous reste le tribunal ou pour obtenir une décision de justice ou pour faire l’effet d’une douche froide chez l’autre partie pour la raisonner et la faire venir à la table des négociations.
Prudence s’impose : c’est un jeu de funambule.
En pratique, partir au tribunal, c’est accepter que vous n’ayez plus votre destin en mains. La procédure est hasardeuse, longue et énergivore. Cent mille euros (100 000 €), 24 mois et pas de garantie de résultat est la norme pour un conflit entre associés.
La nature du litige et le tribunal compétent
Il existe deux types de compétences à distinguer : la compétente territoriale et la compétence matérielle.
Au sein de la compétence matérielle, il y a trois types de litige : commercial, civil et où pénal.
La compétence territoriale
Le tribunal de l’entreprise ou le tribunal de commerce du lieu du siège social de la société commerciale concernée est compétent. En clair, en fonction de l’adresse officielle de la société commerciale, il revient à vérifier de quel arrondissement judiciaire dépend la société.
Pour des litiges civils relatifs à une société civile ou une société civile immobilière (SCI) ou une société civile professionnelle (SCP), c’est le tribunal civil ou le tribunal judiciaire qui connait le cas. Ici, c’est l’adresse du domicile du débiteur (la société civile) qui prévaut sauf s’il existe une clause contractuelle d’attribution de compétence territoriale.
Si on toque à la porte du mauvais tribunal, pas de panique. On peut solliciter un renvoi devant le bon tribunal tout au début du procès. De plus, la compétence territoriale est une matière d’ordre public. En clair, le juge doit normalement soulever lui-même ce point à la première audience pour vérifier si le dossier dépend bien de son tribunal territorial ou pas.
La compétence matérielle
Le tribunal civil ou le tribunal judiciaire est compétent pour les différends privés.
Le tribunal de l’entreprise ou le tribunal de commerce traite les différends liés à la vie de la société (SRL, SA, SARL, SAS) : factures de prestations contestées (management fees), comptes-courants débiteurs ou créditeurs, interprétation d’un pacte d’actionnaires, cautions, exécution d’une clause de non-concurrence et non-débauchage, responsabilité d’administrateurs, procédure en retrait, procédure d’exclusion, désignation d’un administrateur provisoire ou encore annulation ou suspension d’une décision d’un conseil d’administration ou d’une assemblée générale. Au cas par cas, c’est le président du tribunal de l’entreprise lui-même qui s’occupe du dossier.
En Belgique, depuis l’introduction du Code des Sociétés et des Associations (CSA), la loi permet de regrouper tous les litiges financiers connexes devant le président du tribunal de l’entreprise dans le cadre d’une procédure comme en référé pour un retrait ou une exclusion d’un actionnaire d’une société commerciale.
L’article 2:62 § 3 du Code des sociétés et des associations belges prévoit que le président du tribunal peut trancher tous les litiges connexes portant sur les relations financières entre les parties et la société ou avec des sociétés/personnes liées. Cela vise notamment les litiges concernant :
• les prêts,
• les sûretés,
• les comptes courants,
• les clauses de non-concurrence.
Pareille facilité n’existe pas en France ou en Suisse. Il n’y a pas de loi comparable confiant à un président de tribunal le pouvoir général de trancher tous ces litiges connexes dans le cadre d’une procédure spécifique. Ça provoque plusieurs procès à gérer au lieu d’un seul regroupant tous les problèmes devant un seul juge.
Le tribunal pénal ou le tribunal correctionnel traite les abus de biens sociaux, abus de confiance, abus de faiblesse, les faux et usage, les faux en écriture et les escroqueries.
Il est délicat de lancer une procédure pénale. Pour rappel, l’adage « le criminel tient le civil en l’état » peut s’applique. En clair, ça bloque toutes les démarches ou pour virer un associé ou pour vendre les parts d’une société de laquelle on est prisonnier tant que le volet pénal n’est pas réglé. Et, un volet pénal, ça prend 3, 5, voire 10 ans.
Toutefois, il existe une partie de la jurisprudence qui estime que cet adage n’est pas valable pour un conflit entre actionnaires. Certes, mais c’est la porte ouverte à des contestations et à une perte de temps précieux.
Il est préférable de bluffer sur le volet pénal et d’utiliser cette carte comme menace au lieu de paralyser le procès de conflit entre actionnaires et d’hypothéquer ses chances de succès.
En clair, maximiser votre investissement en se concentrant sur l’argent à récupérer (retrait) ou l’argent à épargner (exclusion au meilleur prix) reste la priorité.
Les parties à la cause
Un point à ne pas sous-estimer est l’identité des personnes à citer pour la validité de la procédure. Dans un conflit entre actionnaires, il est nécessaire de lancer la procédure contre la société qui est un être juridique à part entière. Citer seulement l’actionnaire à exclure ou citer l’autre actionnaire pour le forcer à racheter vos parts ne suffit pas. Dans pareil cas, votre procédure est nulle et vous devez recommencer un nouveau procès en mettant dans la boucle la société également. Amener la société à la cause peut soulever un problème. Le plus simple, en cas d’erreur, est de reciter tout le monde en une fois.
De même, dans des holdings familiaux à enjeux financiers élevés et à enjeux émotionnels complexes, peut se présenter la situation de conflit de loyauté où une fille doit faire un procès non seulement contre son frère mais également contre ses parents. C’est fréquent dans les schémas où la génération héritière a reçu des actions en partie en nue-propriété.
Tout ceci est à bien nommer, visualiser et comprendre avant d’y aller.
En résumé, bien vérifier qui attaque qui devant quel tribunal et pour quelle raison.
Médiation ou arbitrage
Premier point à bien valider avant de partir au tribunal : vérifier si les papiers signés contiennent une règle particulière en cas de conflit comme une obligation de tentative de médiation avant de partir au tribunal et ou un arbitrage. Le respect de ces clauses est fondamental pour toquer à la bonne porte que ce soit celle de l’arbitre ou celle d’un médiateur avant de lancer un procès dans un tribunal.
Le déroulement de la procédure
Trop peu de personnes comprennent qu’un accord amiable reste possible à tout moment d’un procès. Même après avoir plaidé le dossier devant le juge, il reste jouable de se mettre d’accord à l’amiable. À tout moment, une négociation directe, médiation ou conciliation peut aboutir en parallèle au procès en cours.
Le temps judiciaire est long et complexe. Avant l’obtention d’un jugement, plusieurs audiences se cumulent :
- audience d’introduction où généralement rien de concret ne se passe si ce n’est fixer le calendrier pour s’échanger les conclusions et les preuves (c’est-à-dire les écrits de procédure) et ou désigner un expert judiciaire.
- audience de vérification de la mise en état : à nouveau une audience relais où on vérifie le volume du dossier pour déterminer le temps de plaidoiries et fixer une date pour plaider.
- audience de plaidoiries où on présente oralement à tour de rôle ses arguments afin que le juge prenne l’affaire en délibéré et rende son jugement.
Entre les audiences relais et l’audience de plaidoiries, il peut y avoir des audiences où on tranche les incidents comme le remplacement d’un expert judiciaire.
Une fois le jugement obtenu, il est important de voir si le résultat est conforme aux attentes. Un appel reste toujours possible si une des parties joue la montre ou si un fait nouveau apparait utile à expliquer en degré d’appel.
Régler via le tribunal un conflit entre actionnaires exige une parfaite maitrise juridique, technique et pratique. Il est nécessaire d’être bien entouré(e) pour atteindre le but souhaité.